Il est bien tard, au bout de presque
une année, de dévoiler la face sombre du Mexique. Cette
face sombre a de nombreux visages.
Ce n'est pas que jusque là je
fus aveuglé. Les inégalité sociales se voient
tous les jours au grand jour. Entre les belles villas du quartier
Animas où je donnais des cours particuliers et les multiples
périphéries de Xalapa, ce n'est pas un monde qui les
sépare ; ce sont des vies passées.
Une réalité toutefois les
rejoint : une violence visible ou tacite.
Je ne sais pas exactement comment
décrire cette nouvelle qui nous est arrivée hier en fin
d'après-midi. Depuis cette fin de journée, j'avoue,
pour la première fois, ressentir une insécurité
pourtant invisible jusque là.
Les séquestres, la lutte de la police
contre les narco-trafiquants, la corruption, les droits des
indigènes bafoués existaient principalement par voie
des médias ou de récits.
Je savais qu'on ne pouvait pas se
confier à la police ici. Je savais qu'il valait mieux leur
donner el soborno (pot-de-vin) plutôt que de
discuter. Je savais que les vols étaient fréquents. Je
savais qu'un élève s'était fait voler son ordi
portable par ses voisins s'absentant juste 5 minutes. Je savais que
la méfiance devait être de mise. Je savais que les bouts
de verre ou les barbelés en haut des murs n'étaient pas
de l'art urbain. Je savais que c'était un crime d'être
riche ou pauvre. Je savais que ces deux mondes se méprisaient
et se craignaient. Je savais que des personnes luttaient pour nourrir
une famille nombreuse. Je savais que dans les villages de montagne,
100 pesos à la semaine pour une famille de 7, mettait le
morceau de boeuf au rang des privilèges. Je savais que la
politique était intimement liée aux narcos-trafiquants.
Je savais que les gouverneurs étaient liés aux
cartels du Golfe, de Tijuana ou de Chihuahua. Je savais que dans le quartier de Tepito à
Mexico, il était peu probable de ressortir avec ce qu'on avait
acheté illégalement. Je savais que des barrières
chaque fois plus restrictives et inhumaines empêchaient les
migrants d'arriver aux Etats-Unis d'Amérique. Je savais que,
en revanche, les contrôles des armes passant dans le sens
inverse n'était pas bien sévère. Je savais
qu'aux frontières nord et sud du Mexique se produisaient des
exactions inimaginables. Je savais que dans une ville du centre du
Mexique, Tultitlan, était érigée la deuxième
statue la plus haute d'Amérique latine en l'honneur de la
Santa Muerte (sainte morte), Je savais que les migrants
d'Amérique centrale ou d'Amérique du sud étaient
volés, battus, violés, amputés sur le chemin les
menant vers leur Eldorado. Je savais que des Maras au Sud aux
policiers ricains du Nord, le Mexique était une traversée
de tous les dangers. Je savais que les Mexicains étaient
durement rejetés par leurs cousins, Chicanos, résidents
déjà aux Etats-Unis d'Amérique. Je savais que
des bandes de jeunes s'en prenaient aux Emos, sortes de décadents
et gothique d'aujourd'hui. Je savais que des appels se lançaient
par internet pour aller les humilier.
Ce que je sais maintenant....
Au 19 juin, je ne dirais pas que
l'apaisement est revenu mais l'instant de terreur commence à
s'estomper.
Que s'est-il passé au juste?
Il y a tout juste une semaine, Mildred
m'a appris qu'une de ses cousines avait été kidnappée.
Les kidnappeurs réclamaient une somme s'élevant
à plusieurs millions de pesos.
Et quelques jours après, nous
apprenions que dans l'Etat de Veracruz, il y avait près de 50
enlèvements tous les 15 jours. Au terme faussement amusant de
kidnapping-express, ces personnes demandent une somme allant de
milliers de pesos à plusieurs millions de pesos dans les
heures suivantes. Dans le cas contraire, c'est tout simplement
l'exécution. Ils enlèvent des entrepreneurs ou des
politiques. Cette information vient d'un cercle du pouvoir mais n'est
absolument pas divulguée par les médias.
Dans quel état d'angoisse
vivrait la population? Mais ne devraient-ils pas savoir malgré
tout? La question du rôle et du pouvoir des médias est
tout autre.
Mildred m'apprenait également
que dans d'autres Etats du Mexique (Estado de Mexico), ce n'était
pas seulement les classes sociales élevées qui étaient
touchées par cette plaie ; pour 5000 pesos (350 euros), des
personnes de classe moyenne subissent cette angoisse insupportable.
Et seulement hier, je me rendais compte
de l'étendue de ces pratiques. Le directeur de l'école
où Mildred se forme a été victime de 3
tentatives (infructueuses) d'enlèvement. Il faut savoir vivre
avec cela, dit-il. Comment s'habituer à l'horreur? Comment
s'habituer à s'inquiéter pour ses proches ou pour soi?
Comment s'habituer à l'impunité? Comment s'habituer?
Et comment supporter l'absence, la mort
brutale de cette jeune femme?
On était loin de penser que
l'extrême arriverait. J'épargnerai les détails
sordides.
Et je reviens à cette question :
à qui la cause? À qui la faute?
Lisant un commentateur sur l'importance
des narco-trafiquants, je n'en ressors pour le moins pas très
optimiste. Il manque un certain consensus ou pacte social des forces
économiques et politiques pour éradiquer les forces
mafieuses du pays. Le Mexique est trop gangrené pour le moment
par la corruption, les conflits d'intérêt et la toujours
trop forte inégalité entre les classes sociales.
Je ne citerai ici et maintenant le nom
des mafias qui s'affrontent et sèment la terreur dans le pays
pour ne pas inquiéter Mildred. Même si ce blog n 'est
dirigé qu'à un très faible auditoire
francophone, je comprends évidemment les craintes actuelles.
Il demeure que ce type d'agissement
s'est diffusé à de très nombreux secteurs de la
« criminalité ». L'enlèvement
n'est certainement pas la chasse gardée des narco-trafiquants.
Ou plutôt, il est imité avec force et fureur.
Chacun trouvera facilement des milliers
d'explications aussi bien théoriques qu'émotionnelles.
Avec ces quelques lignes, je m'associe modestement au deuil (peut-il
finir un jour?) que vit tellement de personnes en ce moment.